Quelques éclaircies, des lueurs de paradis dans ce monde pourri. Une lumière de lampe-tempête dans l'obscurité. Jonathan est un phare. Dans ce vaste océan, Elly a un point d'ancrage. Salutaire. Elly réapprend à vivre. S'ouvrir aux autres n'est jamais facile. Quand il faut d'abord cacher ses origines familiales, les magouilles, pourquoi on déménage aussi souvent... quand il faut cacher ce qu'on a subi. Quand il faut cacher ce qu'on est. Cacher. Elly possède le don qui correspond à sa personnalité. Ironique, tellement ironique.
Rouvrir les plaies, laisser sortir le poison, c'est aussi douloureux. Mais salvateur. Après, on peut panser les plaies, les purifier, les laisser se cicatriser doucement.

Mais cette phase n'est pas encore arrivée. Bientôt. Mais pour le moment, les moments les plus difficiles de son passé refont surface. Elly en vient presque à regretter d'avoir parlé, de s'être confiée à Jon. Elle n'avait plus fait de cauchemars depuis longtemps. Et cette nuit, ça recommence. Doit-elle accepter ses actes? La haine la ronge, la culpabilité la tourmente, la peur la torture. Cette nuit, c'est le clou du spectacle.
Frayeur.
Terreur.
Le sang et la sueur.
Ces mains puissantes.

Un cri strident dans la chambre d'Elly. Elle se réveille en sursaut, le cœur battant. Elle revoit le visage du bourreau, dans ses rêves, elle est aussi impuissante qu'elle ne l'était à l'époque. Puis d'autres rêves. Mort. Sang. Vengeance. Destruction.
Autant de violence est rares, cependant, chez elle.

Des lumières. Sous la porte, le clair passe au travers. Elly entend des pas. Et la voix de Jon. Il a dû sursauter dans son lit, lui aussi, en entendant Elly hurler de la sorte.
La porte s'ouvre.

Elly a l'air hagard. Perdue dans l'océan, elle ne voit plus le phare. Elle serre son oreiller très fort. Elle a piqué les taies d'oreiller de Jon. Comme ça, y'a son odeur quelque part, c'est rassurant. Il est toujours là, toujours là.

Elly regarda Jon. Il vient de s'asseoir en face d'elle. Elle s'accroche à son oreiller qui a la taie de Jon. Une vieille taie, mais quand même. Elle acquiesce doucement. Un cauchemar, un affreux cauchemar. Un cauchemar d'autant plus affreux qu'il s'inspire en grande partie de fais réels et vécus.

Il passe une main sur sa joue humide. Coup de chaud, elle a transpiré comme jamais et pleuré. Elle est en sueur des pieds à la tête. Elle a l'impression d'avoir de la fièvre.
Il a la peau douce. Tout en lui est doux. Les seuls choses rêches sont les souvenirs de sa mère.

Elle se blottit dans les bras de Jon. Une zone de sécurité. Etrange de se sentir en sécurité dans les bras d'un homme quand les autres sont si effrayants. Mais c'est Jon. Son bisounours. Elle soupir et sèche ses larmes... sur le débardeur de Jon. Elle sent ses bras autour de lui, elle s'y sent bien.

Il se passe quelques minutes. Il faut qu'elle se réveille un peu plus, qu'elle se sortes des méandres de ce rêve. Elle déglutit péniblement.

- C'est... j'ai... c'était... c'était comme quand j'étais gosse... le même...

Ses paroles sont décousues. C'est difficile de raconter ce rêve, car raconter ce rêve serait raconter en détail ce qu'il s'est passé quatre ans plus tôt. Et les détails sont justement ce qu'elle souhaite éviter et ne plus jamais voir.

- C'est souvenir... il y avait ses yeux, son sourire, ses paroles, ses gestes, son poids, sa force...

Avec ça, il peut deviner quelle est la teneur du cauchemar.
La mâchoire serrée. Cela lui donne presque envie de vomir. Elle se cramponne à Jon. Pourquoi tout le monde ne peut-il pas être comme lui? Jon est exceptionnel.
Elly songe à ce que Jon lui a révélé. Peut-être qu'il fait le même genre de cauchemar, avec sa mère qui le mutile pour le punir d'être impur et insoumis.

- Je veux oublier, mais ça reste. Pourquoi ça reste?

Heureusement que Jon est là. Si Elly avait dû passer le reste de sa vie seule, dans la rue, avec ses cauchemars, elle n'aurait pas donné cher de sa peau. Elle se serait peut-être jetée du haut d'un pont... Mais elle a Jon, présence forte et rassurante. Elle sait qu'il a le sang qui boue, qu'il a envie de faire payer à ce mec ce qu'il lui a fait. Elly préfère oublier et ne pas mettre Jon en danger. Elle est certaine que Jon peut casser la figure à l'Autre, mais ce faisant, il peut se mettre à découvert. Et au temps pour l'anonymat et le secret...

Sa respiration calmée, elle ferme les yeux quelques instants, le temps de reprendre ses esprits. Jon propose de faire un jeu ou de regarder un film. Bref, de se changer les idées, et c'est pas une mauvaise idée, en fait. Elly sait très bien qu'elle ne pourra pas s'endormir facilement, là, tout de suite. Impossible.

Jon observe son lit. Elle a tellement transpiré que ses draps sont trempés. Elle-même a son t-shirt qui lui colle à la peau.
Elle acquiesce doucement, se détache de Jon et va chercher un pyjama sec dans ses tiroirs. Elle s'éclipse ensuite dans la salle de bain.

Elle se regarde, elle fille malmenée par le passé. Adolescente. Adulte en devenir. Encore une enfant sous bien des aspects. Mais l'enfance n'a jamais vraiment fait partie de son vocabulaire. Trop de maturité trop jeune. Trop vu de choses.
Elle prend un gant propre et s'asperge le corps. La fraîcheur de l'eau lui fait du bien, l'apaise. Elle reprend peu à peu contenance. Alors elle se sèche et enfile son nouveau pyjama.
Elle doit être plus forte que le passé. Elle ne doit pas laisser ça la marquer encore et encore.

Un soupir. Peut-être qu'un jour elle tombera amoureuse d'un garçon, et ce jour là lui fait un peu peur, rien que d'y penser. Parce qu'en grandissant, on découvre plein de choses. On se découvre, on se découvre l'autre. Elle le sait très bien, elle arrive à un âge où les hormones commencent à jouer de drôles de tours aux jeunes gens.
Deuxième soupir. Elle secoue la tête et quitte la salle de bain.

Elle retrouve Jon dans sa chambre. Il lui a changé ses draps. Elle sourit. vraiment un type impeccable. Pourquoi n'est-elle pas née avec ce grand frère là plutôt qu'avec les parents irresponsables qui avaient été les siens? La vie fait parfois mal les choses.

- Bon, on peut se regarder un film, j'ai vu que t'as emprunté une comédie à Matt...parait que c'est drôle.

Ils ont un petit poste de télévision avec un lecteur dvd. Pas du grand luxe, mais suffisant pour passer un bon moment. Et avec l'eau froide qu'elle s'est mise sur le visage, elle est bien réveillée.